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13 décembre 2018

Témoignage du terrain : « Le moral compte beaucoup pour vaincre Ebola »

Lorsque l’on traite des patients lors d’une épidémie d’Ebola, les soins ne s’arrêtent ou ne se limitent pas au traitement médical. Oléa Balayulu, psychologue clinicien en charge de l’équipe psychosociale d’ALIMA à Béni, en République démocratique du Congo, où une épidémie d’Ebola continue d’affecter les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, nous explique pourquoi l’aspect psycho-social dans le cadre de la riposte est si fondamental.

Raconte-nous, quel est le rôle d’un psychologue lors d’une épidémie du virus Ebola ?

Le psychologue joue un rôle très important dans le cadre d’une riposte à une épidémie d’Ebola. Comme vous savez, le virus Ebola est dangereux, voire mortel, d’autant plus si le patient n’est pas pris en charge rapidement. De plus, les gens ont peur de mourir, et cette peur est d’autant plus forte que la manière de mourir est bien souvent très rapide et brutale. Donc pendant une épidémie, en particulier dans un lieu comme Béni, où c’est la première fois que les habitants sont confrontés à ce virus, les gens ont peur. Ils ont peur de l’inconnu, ils ont peur d’être infectés, ils ont peur de mourir, ils ont peur de perdre leurs proches. Au sein des  communautés, il y a beaucoup de rumeurs qui circulent à propos d’Ebola : des rumeurs sur son origine, sur ce qui se passe au centre de traitement et sur le vaccin en tant que tel. Et quand la peur de mourir est élevée, cela peut causer de nombreux problèmes y compris quand il s’agit d’accepter de l’aide. Cela peut aussi poser des problèmes quand il s’agit d’admettre qu’Ebola existe, quand il s’agit d’accepter un traitement, quand il s’agit d’accepter un enterrement digne et sécurisé, si nécessaire. La mentalité générale est que si Ebola n’existe pas, cela veut dire qu’on ne peut pas mourir de cette maladie.

Dès lors, notre travail, en tant que psychologues, en collaboration avec les équipes de sensibilisation communautaire, consiste avant tout à dissiper les rumeurs, rassurer les personnes, calmer les peurs. Que ce soit dans la communauté, dans le centre de traitement, ou dans une autre structure de santé, nous sommes ici pour écouter les préoccupations des personnes, pour répondre à leurs questions, et pour leur fournir des conseils adaptés. Si notre rôle est de les soutenir, de les aider à se sentir en sécurité et à accepter les traitements,  il est tout à fait normal qu’ils se montrent d’abord stressés et inquiets. Les patients et leurs familles, tout comme le personnel de santé, ont besoin d’être écoutés. Et c’est pourquoi nous sommes ici : pour les comprendre, pour s’assurer que leur moral reste bon, et pour dissiper leurs peurs.

Quels sont les principaux messages-clés que tu transmets aux patients et à leurs familles ?

D’abord, nous expliquons ce qu’est Ebola, les symptômes possibles, et comment le virus se transmet. Ensuite, nous mettons en évidence les bonnes pratiques et les mesures de prévention en leur démontrant que certaines mesures de sécurité permettent d’éviter de contracter Ebola, telles que se laver les mains et s’abstenir de toucher toute personne qui semble malade ou qui est décédé. Puis, nous décrivons les traitements et le type de soins que nos patients recevront dans le centre de traitement. Plus important encore,  nous leur expliquons comment, grâce à des soins adaptés et une prise en charge la plus rapide possible, on peut guérir d’Ebola.

Nous leur permettons de comprendre que dans notre centre de traitement, il y a des médecins et des infirmiers spécialistes qui ont été formés pour soigner spécifiquement les patients atteints d’Ebola, et de réaliser que nous avons beaucoup de survivants qui sont sortis du centre de traitement,guéris et en vie. Nous nous assurons également que les personnes comprennent la gratuité de tous ces soins car bien souvent, les familles s’inquiètent de ne pas pouvoir financer un long séjour à l’hôpital ou la totalité des médicaments, et cette inquiétude augmente leur stress déjà conséquent.

Durant toute la durée de leur traitement, nous passons du temps auprès de nos patients chaque jour et nous veillons à les accompagner le mieux possible. Notre rôle consiste non seulement à les rassurer mais également à les encourager, à les encourager à se battre contre la maladie, à prendre leurs médicaments, à bien s’alimenter avec les repas fournis par les médecins, et surtout, surtout, à garder espoir. On leur dit qu’ils sont plus forts qu’Ebola, qu’ils peuvent battre le virus. Il est en effet crucial de comprendre combien la survie d’un patient  peut être liée à la mentalité du patient et à son espoir. Le moral compte beaucoup pour vaincre Ebola.

Enfin, pour tous les survivants, les patients suspects qui n’avaient en fin de compte pas contracté Ebola, et pour les communautés au sens large, nous veillons à transmettre  des messages concernant la stigmatisation. Nous insistons sur le fait que les survivants ne sont plus directement contagieux et ne présentent pas de risques pour les personnes qui entrent en contact avec eux, à l’exception des relations sexuelles pour lesquelles nous leur recommandons de se protéger. Nous encourageons les habitants à accepter les survivants dans leur communauté et à ne pas les redouter. Nous prenons aussi le temps de préparer les survivants au sujet de cette stigmatisation à laquelle ils seront peut-être confrontés et qui se dissipera avec le temps. Nous prions aussi nos survivants, une fois retournés chez eux, de partager leurs histoires, de parler du traitement qu’ils ont reçu ici, et de nous aider à porter le message suivant: une prise en charge suffisamment tôt peut sauver des vies, leurs vies.

Photo: Jennifer Lazuta  / ALIMA

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